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Psychologies magazine - n°138 - Janvier 1996

Psychologies 138 1996L'ANALYSE BIOENERGETIQUE
(voir Pavé d'information au bas de l'article)

TEMOIGNAGE : une psychothérapeute raconte sa psychothérapie - « Je suis devenue plus vraie »

Que peut apporter un travail sur le corps, quand on a l'habitude de fonctionner avec sa tête ? Vivre enfin en accord avec ses véritables émotions, répond Edith Fournier, dans un livre qui vient de paraître et à l'analyse qu'elle a suivie avec Alexander Lowen, le père de la bioénergie.

Psychologies ψ: Ce n'est pas une démarche courante pour une psychothérapeute que de raconter sa propre thérapie... Qu'est ce qui vous y a poussée?


Edith Fournier EF : J'avais souvent le sentiment, dans ma pratique comme dans mon enseignement, que les gens me considéraient comme quelqu'un qui a réglé tous ses problèmes. Comme si du fait d'être psychologue, j'étais arrivée à la sérénité, j'avais réussi à transcender les souffrances et les enjeux fondamentaux de la vie humaine... et ce sentiment me mettait mal à l'aise. J'avais envie de dire : « Ah, si vous saviez! » J'ai donc écrit mon histoire pour montrer que les psychologues ne sont pas au-dessus des contingences de leur vie psychique mais aussi parce queje voulais partager ce que j'ai eu la chance d'apprendre et qui m'a fait tant de bien.

ψ : Qu'avez vous appris de si important?
EF : Que la vie ne consiste pas à se tenir sur la pointe des pieds mais à s'accepter comme on est et j'ai pris conscience que tout ce que j'ai à apprendre est à l'intérieur de moi... mais cela m'a demandé un virage à 180°. Au départ, j'étais une femme d'idées et, lors de ma formation, j'ai tourné le dos à tout ce qui relevait du domaine clinique ou affectif pour me concentrer sur les fonctions cognitives. Par la suite et pendant très longtemps, j'ai travaillé sur l'étude de l'intelligence chez les enfants. J'étais là-dedans comme un poisson dans l'eau et manœuvrais les concepts avec beaucoup de facilité jusqu'à ce qu'un jour j'en arrive à un constat personnel de stérilité. J'étais constamment malade et je somatisais chaque fois qu'existait en moi une distorsion dont je n'étais pas consciente. Rien de vraiment grave, le plus souvent des migraines, des maux de dos, des problèmes digestifs, des infections, mais tous ces symptômes m'empoisonnaient littéralement la vie et, un jour, j'ai dû me rendre à l'évidence : ce n'était pas les théories sur l'intelligence qui pourraient ni aider à régler cette difficulté à vivre...

ψ : Vous souvenez-vous de la façon dont s'est opérée cette prise de conscience?
EF : J'étais à l'hôpital à ce moment là et je venais de subir deux gastroscopies qui sont des examens assez épouvantables. Et là je me suis dit: « Non, c'est fini la mascarade. Il faut que tu te rendes, ma vieille, que tu mettes bas les armes. Il faut que tu ailles voir ce qui se passe du côté de ta vie affective. » Sur le moment, j'ai vécu cela comme une défaite et une humiliation parce que toute ma vie j'avais essayé de me « tenir au-dessus » de cet océan de misère intérieure et de « faire face ». Mais je n'avais plus le choix : il fallait que j'accepte de reconnaître ma souffrance et que j'y remédie... Pourtant, quand je parle de misère morale, n'allez pas imaginer que je suis pire que les autres... Que j'ai connu des traumatismes terribles ou que mon histoire soit épouvantable. Pas du tout, je n'avais aucun secret terrible à préserver et c'est justement ce que j'ai compris : que ma souffrance n'avait rien d'exceptionnel, que c'était celle de la majorité des hommes ou des femmes et que mes tensions étaient simplement les tensions courantes auxquelles sont en proie les gens de ma génération.

ψ : Pourquoi avoir choisi l'analyse bioénergétique comme psychothérapie?
EF : Je n'avais pas l'impression que les thérapies verbales pouvaient m'aider car il est trop facile pour moi de m'en tirer avec les mots. Je peux parler trois jours sans m'arrêter, vous dire ce que vous voulez entendre et m'échapper en me justifiant ou en biaisant. En analyse bioénergétique, la porte d'entrée, c'est le corps et quand j'ai découvert cette approche, j'ai tout de suite été démasquée. C'est bien beau de jouer à la femme relax et de prétendre ne pas avoir de tension mais quand on vous dit: « Et, cette nuque raide là, qu'est ce que c'est? » Vous pouvez toujours essayer de vous en tirer en répondant : « Oh, rien, rien, je suis toujours comme ça mais ça ne me gêne pas. » Vient pourtant un moment où l'on ne peut plus se cacher. Et, pour moi, cette approche a été extraordinaire car elle m'a permis d'arrêter de me raconter des histoires auxquelles je finissais par croire. Dès la première séance chez le thérapeute et malgré mes réticences à l'égard de tout ce qui était psychothérapie, j'ai senti que je pouvais trouver là une sorte de vérité sur moi-même. J'étais arrivée comme j'en avais l'habitude avec la tête légèrement penchée à gauche : « De ce côté là, j'ai mes défenses et je vous vois venir. Vous me prendrez difficilement au dépourvu. » Mais quand le thérapeute m'a demandé d'avancer avec la tête penchée de l'autre côté, je me suis sentie fondre tout à coup. Je n'avais plus aucune défense. Cette expérience a été capitale pour moi, parce qu'elle se passait au niveau du ressenti et non plus du discours, du corps et non plus de la tête. J'ai compris que là je n'aurai pas d'échappatoire.

ψ : Pouvez vous nous expliquer exactement en quoi consiste l'"Analyse bioénergétique"?
EF : L'hypothèse que l'on fait en analyse bioénergétique, c'est que notre histoire est inscrite dans notre corps et que des gestes qui auraient pu nous libérer quand on était petit ont été retenus à l'intérieur de nous : l'enfant que son père bat, par exemple, a envie de battre son père en retour mais comme il ne peut pas se le permettre, il freine son geste. Faute d'être déchargé, celui-ci reste stocké dans les muscles, les fibres et les tendons, peut-être que l'enfant devenu adulte ne saura pas d'où lui vient cette tendinite à l'épaule dont il se met un jour à souffrir mais qui remonte, d'une certaine façon, à ce geste rentré... La bioénergie va donc le déterrer grâce à des postures et à des respirations qui permettront à l'organisme de relâcher l'émotion et enfouie.

A vous lire, ce moment où l'émotion remonte à la surface n'est pas toujours facile à vivre et on se dit que vous avez eu du courage...
J'ai des patients pour lesquels la démarche est moins douloureuse qu'elle ne l'a été pour moi et d'autres pour lesquels elle l'est davantage. Tout dépend de l'histoire personnelle de chacun. Mais qu'est ce qui fait souffrir? Inconsciemment, la personne en thérapie a une peur panique de se détendre et de laisser aller son geste. Elle a l'impression que si elle le fait, elle en mourra, mais au moment même où elle le pose, elle s'aperçoit qu'il n'a plus lieu d'être et un immense soulagement l'envahit. Les sanglots trop longtemps retenus éclatent et ce sont les grandes eaux. Cela semble spectaculaire mais quand on est familier avec cette démarche, on comprend qu'il s'agit d'un extraordinaire nettoyage et qu'il ne faut pas en avoir peur. Le pire, c'est de ne pas pouvoir pleurer au contraire et quand je vois une personne en crise, Je me dis : « Enfin, c'est la meilleure des choses qui puisse lui arriver.. » Il n'empêche que notre réflexe, c'est de résister parce que nos émotions nous font peur et que quelque part nous faisons l'équation souffrir = mourir. Mais souffrir n'est pas mourir; c'est souvent même l'équivalent de mieux vivre parce que, quand on accepte de traverser la souffrance, d'entrer dedans, on en sort plus apte à apprécier la vie.

ψ : Quel est pour vous le but d'une thérapie?
EF : C'est d'avoir accès à plus de liberté. Quand ma défense consiste à nier ma souffrance, je n'ai aucune liberté... Ce n'est pas que la thérapie cherche à supprimer les défenses loin de là car nous avons tous besoin de défenses. Encore faut il que celles-ci s'appliquent à bon escient et qu'elles ne se mettent pas en place automatiquement, à notre insu et contre notre volonté car, dans ce cas, elles nous coupent de la vie. La thérapie va assouplir nos défenses et nous permettre d'accéder à tout un éventail de réactions parmi lesquelles nous pourrons choisir la plus adaptée.

ψ : L'analyse bioénergétique?
EF : J'aimerais bien pouvoir vous dire qu'aujourd'hui la souffrance a disparu de ma vie et que je ne suis plus jamais malade; mais il m'est difficile de reconnaître que ce n'est pas le cas parce que je crois qu'à l'origine, j'ai fait une thérapie un peu comme on prend une police d'assurance : j'avais l'impression que plus je travaillerai sur moi et moins je serai vulnérable jusqu'au jour où je serai capable de tout encaisser... Or, si les petites somatisations ont effectivement disparu, je sais que je ne suis pas à l'abri de la maladie quand je vis des choses trop difficiles : la preuve en est que je suis actuellement en congé maladie... La différence, pourtant, c'est qu'aujourd'hui je comprends mieux le sens des manifestations physiques qui m'affectent et quand je les comprends, je peux me guérir parce que je reste responsable de ma vie. Je ne m'abandonne pas comme un objet entre les mains d'un autre, à son ressenti et à ses décisions... J'ai pris conscience, en outre, que ma recherche n'avait pas grand-chose à voir avec mes problèmes de santé et que ma démarche était, en fait, une immense tentative pour devenir plus vraie et avoir accès plus directement aux véritables enjeux de ma vie...

ψ : Qu'appelez-vous être plus vrai ?
EF : Abandonner l'image ou la réputation, comme on dit. Prenons un exemple : j'enseigne à l'université en psychologie et en sciences de l'éducation et il se trouve que j'ai moi-même des difficultés au niveau de l'éducation de mes enfants. Je ne peux plus aujourd'hui arriver en cours, manier des concepts et parler aux étudiants du haut de ma chaire en prétextant que mes problèmes sont du ressort de ma vie privée. Je suis obligée de dire : « La femme qui est devant vous connaît des difficultés et c'est à ce titre là, aussi, que je dois vous dire ce que je pense et ce que je crois de l'éducation. » J'ai cessé de me cacher derrière les concepts, l'intellectualisme, l'expertise pour travailler aujourd'hui avec ma « pauvre humanité » telle qu'elle est... C'est cela, pour moi, être plus vraie... Autrefois, j'avais l'impression que le sens de la vie consistait à accumuler toujours davantage, à acquérir plus de connaissances, plus de savoir-faire, plus de ceci, plus de cela pour pouvoir faire face à toutes les situations qui pouvaient se présenter sans jamais perdre le nord devant la mort, la perte, la douleur que sais je encore... Depuis ma thérapie et, plus encore, depuis l'écriture de mon livre, J'ai l'impression que le processus s'est inversé et que je me dépouille peu à peu de toutes les dentelles, de tout le maquillage, de tout le superflu. Je ne sais pas où ça va s'arrêter. Peut-être dans dix ans serai je toute nue... mais c'est comme si le processus qui s'était engagé était irréversible et que je n'avais d'autre choix que d'aller, au cœur de mon être, toucher mon noyau.

ψ : Comment vous sentez-vous devant ce processus ?
EF : C'est quelque chose qui fait un peu peur et en même temps j e sens que c'est la seule voie juste. Je me suis longtemps usée à essayer de cacher que je pouvais être jalouse, mesquine, envieuse, vulnérable ; à me répéter que je devais « être capable, à mon âge, de faire ceci ou d'accepter cela »... A ce petit j'eu, on meurt et j'ai cessé de croire que l'on pouvait fonctionner à coup de volonté. Quand mon fils quitte la maison, je vis quelque chose qui est de l'ordre du deuil. C'est vrai que son départ est normal et que je n'en mourrai pas si c'est ce que veut dire mon entourage quand il affirme que « je devrais être capable de l'accepter », mais ce n'est pas comme ça que je veux le vivre parce que ce n'est pas ce que je ressens. A reconnaître mon sentiment et à le vivre pleinement, même s'il est douloureux, ce que je découvre c'est l'autre versant : une intensité de relation plus profonde que jamais avec mon fils et la joie d'être la mère d'un enfant que j'ai laissé partir de moi-même. La justesse, pour moi, c'est ça: vivre la véritable émotion, même si elle est souffrance, pour m'ouvrir à une autre joie et à l'intensité de la vie. Cela demande de s'accepter comme on est et de reconnaître ses limites.

ψ : Vous avez fait une partie de votre thérapie avec Alexander Lowen, le père de l'analyse bioénergétique, et j'aimerais que vous nous en parliez un peu ...
EF : Comme tous les leaders de la psychothérapie contemporaine, c'est un grand personnage et j c l'ai placé un peu sur un piédestal. Ce qui m'a le plus frappé chez lui, c'est son extrême simplicité. Sa pensée est très articulée et très puissante, et il a, par ailleurs, une telle expérience clinique qu'on a l'impression qu'il est quasi infaillible. Même si ce n'est pas le cas, évidemment, il faut reconnaître qu'il voit très souvent juste et faire ma thérapie avec lui a été une expérience considérable. Je pense cependant que l'essentiel s'est passé après quand je l'ai accompagné dans les séminaires qu'il a donnés durant l'année sabbatique que j'avais prise. Mon intention au départ était de faire une série d'entretiens avec lui. Il avait accepté mais très rapidement, il m'a dit: « Tu n'obtiendras rien de moi comme ça; si tu veux apprendre des choses sur moi, prends ta place dans le séminaire et continue à travailler sur toi. » Mais comme je ne le quittais pas, j'ai quand même eu la chance de le voir non seulement sous le jour du personnage publie, du thérapeute en fonction, mais aussi sous un autre jour: celui de sa vulnérabilité. A cette époque, en effet, il souffrait terriblement du genou et ça l'humiliait : avoir un tel problème physique quand on est le fondateur de l'analyse bioénergétique, ce n'est pas facile à accepter ...

ψ  : Et lui qui avait été votre thérapeute s'est retrouvé en position de recevoir vos soins, quelle impression avez-vous gardé de cette inversion des rôles ?
EF : Ça a été très important parce que c'est un peu comme si j'avais vu fondre à mon tour cet homme qui avait réponse à tout. J'ai réalisé ainsi qu'on était tous de la même pâte : une pâte qui voudrait bien être à maturité et qui pourtant n'en a jamais fini de se purifier. Même Alexander Lowen qui a tant travaillé sur lui, qui a tant cherché à comprendre la vie et à se comprendre lui-même, était confronté, là, à ses limites, à des choses non terminées en lui. Vous pouvez penser que c'est décourageant. Moi, au contraire, je pense que c'est très inspirant : si ceux qui ont consacré leur vie à l'étude de l'âme ont encore du travail à faire sur eux-mêmes, il est normal que j'en aie et que d'autres en aient parce que c'est notre lot. Alors, je me dis : « Continue, vas y, ne te décourage pas » parce c'est de cette démarche que vient la justesse, la simplicité, l'authenticité et l'humanité qui se dégage d'Alexander Lowen...

Propos recueillis par Anik Doussau

Edith FOURNIER : Psychologue et psychothérapeute, elle a été professeur à l'université de Montréal (Québec, Canada) à la faculté des sciences de l'éducation. Elle a publié aux éditions de l'homme « Qui a peur d'Alexander Lowen ?».

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L'ANALYSE BIOENERGETIQUE
Créée par le Dr Alexander Lowen dans les années 50, l'Analyse Bioénergétique est une méthode thérapeutique qui repose sur les travaux de celui qui fut son professeur et son analyste : Wilhelm Reich. Comme Freud dont il était le contemporain, Reich était convaincu que tous les troubles psychologiques proviennent des conflits vécus dans l'enfance et non résolus. Cependant, il ne croyait pas que le patient puisse s'en libérer uniquement par l'élaboration verbale. Pour lui, à défaut de n'avoir pu s'exprimer, les émotions éprouvées autrefois se sont inscrites dans les tissus et les muscles de l'individu, l'amenant peu à peu à se rétracter et à se blinder. Les tensions qui en résultent finissent par constituer une véritable cuirasse qui bloque la libre circulation de l'énergie vitale dans le corps et entrave le mouvement normal d'expansion contraction caractérisant un organisme sain. Incapable de se charger et de se décharger en énergie comme il le devrait si rien n'était venu contrarier son développement, l'individu ne vit plus pleinement : ses sensations physiques sont réduites, sa capacité à ressentir dans son cœur est affaiblie, il respire moins bien, s'exprime moins, est mal dans sa peau et souffre de malaises psychologiques ou physiques ...
L'objectif de l'Analyse Bioénergétique est donc de, l'aider a assouplir la cuirasse qu'il s'est forgée pour retrouver une plus grande 'liberté et plus de plaisir a vivre. C'est par un travail corporel qui accorde une grande place à la respirai Ion et au mouvement que le patient va pouvoir peu à peu renouer avec son énergie, En redonnant vie aux zones insensibles de son corps et en relâchant ses tensions musculaires, il va réveiller les émotions douloureuses enfouies. Leur expression émotionnelle entraîne un sentiment de libération qui correspond dans l'organisme a une circulation de l'énergie vitale, Cependant, précise Guy Tonella dans L'Analyse Bioénergétique (Ed. Morisset) « il est tout aussi important pour un patient de connaitre l'origine de ses conflits que de rétablir la perception de soi grâce à l'activité corporelle et les deux approches doivent être synchronisées pour que la thérapie soit efficace ». L'Analyse Bioénergétique inclut donc l'interprétation des rêves et du transfert.

L'Analyse Bioénergétique, créée par le Dr Alexander Lowen, est une vraie lecture du corps. Le thérapeute, sait repérer sont les parties du corps que le patient contracte chroniquement.
Celles-ci dépendent du moment où, enfant, il a éprouvé le besoin de mettre en place des défenses pour se protéger et sont à l'origine de sa personnalité actuelle.

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